Les 40 ans du BELC, impressions et commentaires
par Jean-Louis Malandain (1975-1996)
A l'occasion des "40 ans du BELC", le CIEP, qui a fait de cet acronyme la marque de son stage d'été à l'université de Caen, avait organisé une table ronde le 12 juillet 2007 pour célébrer ce bel anniversaire.
Beaucoup d'anciens du Belc étaient invités à participer à cette manifestation témoignant de la pérennité d'une institution et de contenus qui ont marqué la didactique du Français langue étrangère. Généralement, les organismes périclitent et leur mémoire s'estompe avec le temps. Au Belc, quelque chose persiste malgré le temps. C'est assez rare pour être signalé, autant que le bonheur des retrouvailles de collègues - administratifs ou enseignants - qui s'assoient à la même table, s'amusent ou se chamaillent pour les mêmes motifs et, à l'occasion, dansent encore ensemble pendant que les plus jeunes chantent la ballade du BELC (sur l'air de La Bohème... car effectivement Bohême Est Leur Chant pour gentiment gauchir le bon mot de Tristan Lecoq, le nouveau directeur du CIEP) ! Il faut signaler ce petit miracle et remercier le CIEP d'en avoir permis la résurgence.
Il convient de préciser, cependant, qu'il a existé plusieurs Belc et que c'est plutôt la facette disons 'directoriale' (de 1967 à 1987, de 1988 à 1993, de 1992 à 1995, de 1995 à 2003) qui a été mise en lumière. C'est d'ailleurs de bonne guerre puisque les autres ne bougent guère !
C'est ainsi que la "mort du manuel" n'empêchait pas un certain nombre de soutiers de travailler sur des méthodes dont l'élaboration, le tirage et la diffusion occupaient pas mal des 14-18 Belciens des années 67-87... les exemplaires de Frère Jacques et Pierre et Seydou remplissaient la cave de Lhomond ; c'était notre trésor de guerre et notre matelas de devises, sans compter les droits reversés par Hachette pour la France en direct et autres ouvrages car, avec la recherche, la formation et la documentation, la production (oubliée au cours de la table ronde) était le quatrième pilier de notre sagesse ! Un peu honteuse parfois... et c'est dommage car cela a amené quelques uns d'entre nous à produire ailleurs !
Par rapport à d'autres méthodes, celles du Belc se voulaient adaptées au terrain, soit par la simplicité de la mise en oeuvre (tous les profs n'avaient pas l'électricité dans leur classe) soit par la prise en compte du substrat linguistique (ce qu'apportaient le comparatisme et l'analyse des erreurs où chacun reconnaîtra l'odyssée de Jacques David et l'apport décisif d'André Lamy) et de l'environnement culturel (exploré par l'équipe des Migrants puis dans les classes de Gennevilliers avant les évolutions vers l'interculturel).
Personnellement, m'étant retrouvé en 1964 dans une classe d'adultes fonctionnaires des Affaires étrangères avec mon seul bagage d'Ipésien classique, rapidement bousculé par les exigences 'fonctionnelles', puis, après une grande année au Belc (1967-1968 !), orienteur face à des enseignants qui voulaient savoir comment on enseigne un français plus ou moins imposé à de jeunes débutants vivant à des milliers de kilomètres de Paris, j'ai vite compris (malgré mon naturel peu enjoué !), qu'il fallait au moins ne pas ennuyer les élèves et économiser les efforts des enseignants. Il s'agissait d'associer les ressources de la didactique et de la linguistique à des activités motivantes pour animer la classe en prenant très concrètement en charge trois ou quatre séances avec les moyens du bord sous le regard curieux et amusé des 'stagiaires'. J'ai ainsi compris quel pouvait être l'apport d'un organisme comme le Belc dans la formation des enseignants. A l'inverse de l'INRP ou de l'université, le formateur - chercheur - documentaliste - producteur menait sa mission sur le terrain, plutôt sur le mode des attractions foraines que des conférences mondaines, fidèle en cela à la vocation de saltimbanque revendiquée dès l'origine et rappelée en 2007 par Francis Debyser ! La Bohême ! [pp. 21 et 22 de la remarquable, mais partiale, brochure anniversaire éditée par le CIEP : "Le Belc a 40 ans"].
Ici, photo de la fenêtre, rue Lhomond : Derrières ces rideaux, la mort du manuel !
Il est un autre aspect de l'héritage du Belc, évoqué par Denis Bertrand, qu'il convient de préciser : la réflexion sur les fonctionnements de l'institution dont se chargeait le secteur 'formation'. Ces orientations ne remontent-elles pas aux mutations profondes de mai 68 qui virent le Belc, tous personnels confondus (administratifs, permanents et stagiaires) se constituer en Assemblée Générale - en AG ! - et recevoir du directeur les pouvoirs de décision. Pour la première fois, un groupe endossait la responsabilité de sa propre gestion et s'engageait à travailler de sa propre autorité. Vaste entreprise d'autorégulation qui se prolongeait jusqu'aux amphis des stages d'été où se rassemblaient près de 400 personnes... exposées à la dynamique de groupe. Plus tard, ce mouvement fut 'récupéré' et s'acheva en marché aux modules, instituant la concurrence pour éliminer les canards boiteux que Deby s'ingéniait à intégrer. Malgré cette libéralisation, plusieurs ont continué à s'autoréguler, longtemps après que soient oubliées et méprisées ces "vieilles lunes" qui ont fait notre bonheur - et peut-être encore maintenant ! ne prenant leurs consignes ou directives que des seules exigences de la raison et de la solidarité. C'est une question qu'on pourrait se poser l'an prochain :
Qu'est devenu le Belc, 40 ans après 1968 ?
Au moins aura-t-on appris, à l'occasion de cette rencontre - et 20 ans après - quel était l'autre terme de l'alternative quand, en 1987, est tombée l'injonction d'intégration soit au CIEP - ce que beaucoup ont comparé à l'échange du droit d'aînesse contre un plat de lentilles - soit à l'INRP. Si nous l'avions su, qu'aurions-nous fait et notre choix aurait-il été judicieux ? Autre vaste question !
Fermons provisoirement cette parenthèse pour revenir au coeur de notre métier : la didactique d'une langue pour des débutants en milieu scolaire, c'est-à-dire dans des classes de 20 à 20 + n élèves avec un seul enseignant souvent démuni ! Toutes les autres situations ont donné lieu à des applications remarquables mais rarement transposables, surtout dans les pays en développement.
Une meilleure connaissance du fonctionnement de la parole (phonétique et grammaire), le repérage des éléments prioritaires (du FF au fonctionnel), l'allègement et l'adaptation des mécanismes d'apprentissage (des MAV à la Video et aux Médias puis aux NT) ont largement nourri la didactique du FLE sans jamais la rigidifier ! Jamais les enseignements n'ont été diffusés selon un mode napoléonien qu'on accuse injustement le structuralisme d'avoir instauré. Dès le départ et même pour des débutants, le Deuxième moment de la classe de langue, puis le Niveau 2 puis l'authentique ont ménagé des aires de liberté en préparant des niches pour la créativité, l'improvisation, la simulation ou la littérature !
Mais, au-délà de la leçon zéro, on peut difficilement installer les débutants dans le caré créatif ou le carré sémiotique... Il faut bien avouer que beaucoup d'approches très gratifiantes pour les formateurs et les enseignants ne pouvaient intervenir qu'après les débuts de l'apprentissage. Là encore, quelques bonnes volontés se sont dévouées pour maintenir le flambeau en y consacrant tout leur temps (comment aider le professeur seul au bout du monde à enseigner le B A BA ?) plutôt qu'en visant les grands axes d'une démarche universitaire. D'ailleurs, tout le monde y a trouvé son compte... sauf peut-être le FLE dont Henri Portine a justement souligné qu'il avait pâti d'une fragmentation géographique et thématique du fait de l'universitarisation, ce que corrobore Manuela Ferreira Pinto quand elle décrit le mode d'encadrement de l'actuel stage d'été !
Dans cette benne, l’enterrement des brochures Belc.
On peut s'étonner, cependant, que les Nouvelles Technologies aient si peu contribué à mettre tout le monde d'accord puisqu'elles sont le support et le véhicule le mieux adapté à l'enseignement et à la diffusion des langues, au moins dans les pays 'riches'. Car enfin, si quelque chose a bien changé dans la pédagogie en général et des langues en particulier, c'est bien l'ordinateur ! Qu'on en juge et qu'on dise si c'était possible en 1980 : l'ordinateur gère la parole comme il traite le texte ; l'ordinateur écrit à votre place ce qu'il entend ; l'ordinateur lit à haute voix ce qui lui passe sous les yeux ; l'ordinateur traduit à votre place beaucoup de langues étrangères... Si ces capacités n'interpellent pas l'enseignant de langue au niveau pragmatique - comme on disait naguère - je veux bien reprendre la craie ! D'autant plus que l'ordinateur permet de mettre en place des séquences d'apprentissage interactives : c'est-à-dire que la démarche de l'apprenant peut être suivie, guidée et pilotée s'il le faut, laissant à l'enseignant davantage de temps pour l'animation en s'aidant de tous les médias (et tous les DBA) du monde désormais affichés à l'écran.
Le seul problème, et il est de taille, c'est que personne ne semble vraiment promouvoir l'introduction de l'ordinateur dans la classe, là où il pourrait rendre service aux professeurs et à leurs élèves ! L'occasion était pourtant trop belle, puisque l'amphithéâtre était équipé d'un PC et d'un superbe video-projecteur, de démontrer qu'une approche didactique à l'écran, fruit de longues heures de travail héritées du Belc, peut motiver une centaine de personnes à la fois. Finalement, ce dispositif de rêve n'a servi qu'à montrer le programme que tout le monde avait déjà sur papier, à la façon d'un tableau noir antédiluvien (sauf qu'il était blanc, donc plus en cohérence avec une démarche de qualité qui ne saurait se satisfaire d'opportunités saisies au vol et tant vantées par Francis Yaiche... du temps de Tuzet mais plus maintenant !) et puis, pensez donc ! en cette période où prospère le marché éducatif, c'était gratuit et en libre diffusion !
Le 16 juillet 2007
Jean-Louis Malandain